Pendant ses deux premières années, Comet a eu une trajectoire exponentielle. Entre une croissance moyenne de 30% par mois, un total de 16M€ levés en deux tours de table, et une équipe passée de trois fondateurs à plus de 50 personnes, rien ne semblait pouvoir nous arrêter dans notre folle ascension.

Et pourtant en septembre 2018, nous avons fait face à notre plus grande difficulté depuis le début de l’aventure. Au-delà du ralentissement de notre croissance, une véritable crise de management a menacé notre survie et nous a fait remettre en question l’ensemble de notre modèle opérationnel.

Le premier chapitre de cette série revient sur le diagnostic de l’étendue de nos problèmes. Le second laisse place aux actions qui ont conduit à notre réinvention. Ceci est la troisième et dernière partie de notre trilogie, dédiée aux résultats, enseignements et conséquences de notre transformation.

L’Océan Bleu

À la création de Comet en septembre 2016, le freelancing avait tout d’un océan bleu. À vrai dire, il n’y avait pas un marché unique mais trois segments aux frontières bien délimitées :

  • Entreprises : Les Freelancer Management Systems (FMS) n’en étaient qu’à leurs prémices. Ceux-ci étaient utilisés par un nombre croissant d’agences, et ce afin d’accompagner la sous-traitance de leurs projets à des indépendants.
  • Intermédiation : Les plateformes de freelancing généralistes commençaient à venir chatouiller les Entreprises de Services du Numérique (ESN, ex-SSII). Ces dernières profitaient toujours d’une situation de rente historique vis-à-vis des grandes entreprises. Celle-ci leur permettait de maintenir des tarifs élevés et de garder un certain niveau d’opacité sur l’impact de leurs services.
  • Freelances : C’était aussi le début des services spécialement adressés aux freelances. Des start-ups ciblent spécifiquement cette nouvelle catégorie d’actifs, alors que d’autres acteurs plus établis les intègrent à leur stratégie.

Tout restait donc à créer, si bien qu’on a voulu tacler trop vite les trois verticales à la fois. C’était une erreur parmi toutes celles évoquées dans les articles précédents. Car en réalité, une seule voie nous permettrait d’aller plus vite, plus loin, et de faire plus fort que les autres.

C’est tout simplement notre promesse depuis la création (et aussi ce que nous faisons le mieux 😊) : connecter instantanément les freelances aux missions des entreprises. La suite de l’aventure se placerait donc sous le signe de l’intermédiation. Mais pour en arriver là, il nous a fallu “unbundler” Comet.

Choisir ses batailles

C’est par une citation de Jim Barksdale, co-fondateur de Netscape avec Marc Andreessen dans les années 90, que j’ai découvert cette notion de “bundling vs. unbundling”.

There’s only two ways I know of to make money — bundling and unbundling. — Jim Barksdale

Ces évolutions, devenues naturelles à l’heure de l’économie numérique, ont marqué les mutations des deux décennies précédentes. Andrew Chen retrace tout ça dans un essai brillant publié en 2018.

Mes trois premières années avec Comet m’ont convaincu que le marché gigantesque du freelancing avance vers sa concentration (“bundling”). D’ici une dizaine d’années, un acteur unique sera amené à dominer les trois.

Trois éléments sont indispensables pour devenir ce leader :

  • Une équipe exceptionnelle menée par une Executive Team qui sait comment scaler une entreprise à échelle pan-européenne ;
  • Une technologie de pointe capable de connecter freelances et entreprises à tout un écosystème de services, à la façon d’une API ;
  • Un accès au capital et à l’expertise des meilleurs investisseurs du marché, alignés avec notre vision et ambitions.

 

Pour rester dans la course, il nous fallait donc nous concentrer sur trois batailles interconnectées : le retour de la croissance exponentielle, qui découle de la rétention de clients grands comptes grâce à la construction d’un business model répétable et scalable.

Notre objectif pour 2019 n’était pas seulement de sortir de notre crise. Nous voulions surtout reprendre le contrôle sur ces metrics, et ainsi réunir les trois conditions pour devenir l’API du freelancing de demain.

La Loi des Séries

Comme vu dans le premier chapitre, le board de novembre 2018 a véritablement tiré la sonnette d’alarme. Il y a un an, nous n’étions tout simplement pas prêts à scaler. Alors pour nous transformer, nous avons tout mis à plat et sommes repartis d’une feuille blanche.

💣 Une transition compliquée

La cause principale de ce chaos était une absence de management efficient. Le passage de start-up à scale-up implique une transformation culturelle en tant qu’équipe, et une évolution organisationnelle en tant qu’entreprise. L’enjeu essentiel à ce stade de maturité est de recruter, former et aligner une Executive Team de compétition.

En l’absence de cette Executive Team, le risque majeur est celui de la dispersion. Car si toute l’équipe n’est pas alignée autour de metrics de croissance de l’activité (j’insiste sur ce point), le burn de la boîte augmente… mais pas les revenus. Ça a été notre seconde erreur identifiée fin 2018.

Enfin, une équipe qui avance dispersée dans une direction mal définie est révélatrice d’un troisième problème : une stratégie mal définie. Cela s’est reflétée dans notre roadmap produit qui, elle aussi, n’était pas orientée vers l’optimisation de nos revenus.

👁 Une réinvention salvatrice

Le terme de résilience est le mot d’ordre qui a défini notre année 2019. Car si la situation fin 2018 a révélé nos nombreux défauts, notre réaction à ces événements a fait la part belle à nos plus belles qualités. À la fin du premier trimestre 2019, j’étais déjà impressionné par notre métamorphose :

  • Management : Le recrutement d’Eric en tant que COO a marqué une nouvelle ère pour comet. Son expérience du management de crise, son pragmatisme, et sa prise en main de l’ensemble des sujets (voir Partie II) se sont révélés décisifs. Avec notre Head of People Virgile (ex-Criteo), Elodie (ex-Linkfluence) arrivée en avril 2019 en tant que CFO, et notre premier Head of Product Olivier (ex-ManoMano) qui nous a rejoint en août, il aura fait monter en puissance l’Executive Team dont nous avions tant besoin.
  • Recentrage : Pour créer un business répétable et scalable, il était indispensable de nous concentrer sur une typologie de clients aux besoins importants (montant des devis) et récurrents (fréquence des missions). Or, les start-ups ont longtemps représenté une part conséquente de nos revenus. Le problème, c’est que celles-ci optaient souvent pour des projets courts (revenus non-répétables), à un rythme ponctuel (revenus non-scalables), le tout pour un coût opérationnel conséquent de notre côté. C’est pourquoi nous avons décidé de concentrer notre activité vers les grands comptes, et d’automatiser au maximum notre collaboration avec les start-ups.
  • Réorganisation : Le premier chantier d’Eric a été une refonte de tout notre modèle opérationnel, et donc de notre organigramme. Et alors que nous étions dispersée sur de nombreux sujets (moi le premier), celui nous a redonné “le goût des choses simples”. Eric a rendu évidentes certaines vérités qui nous semblaient contre-intuitives, comme l’importance de réduire le nombre d’OKR par personne et par équipe, ou d’abandonner des projets sans impact direct sur le revenu — peu importe leur stade d’avancement. Notre nouveau COO a placé l’équipe Sales au centre de la boîte, et aligné les objectifs des autres équipes sur leur soutien. Cela nous a permis de revoir toute notre roadmap produit à la faveur des grands comptes et de la performance du matching.

L’expérimentation relancée

En temps de crise, une start-up peut rapidement perdre son âme. Peur de l’erreur, aversion au risque et priorisation des objectifs ne font pas bon ménage avec un des fondamentaux de la croissance : l’expérimentation. Il est alors essentiel de retrouver confiance en sa capacité à innover au quotidien. Et c’est précisément une des composantes majeurs de la renaissance de comet.

Trois initiatives se sont révélées particulièrement significatives pour l’équipe :

  • Évaluation bottom-up du CEO : Le feedback est une constante dans toute démarche de progrès. Après de nombreuses erreurs commises fin 2018, il m’a paru capital de faire évaluer (anonymement) ma performance en tant que CEO par l’ensemble de l’équipe. Et malgré mon appréhension, l’exercice a été une expérience révélatrice. Cela m’a permis d’identifier précisément les points sur lesquels j’avais toute la confiance de l’équipe, ceux sur lesquels je devais encore progresser, ainsi que certains comportements que je devais changer.

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  • Prebook de Comet : Au-delà du retour de la croissance et de la transformation de la boîte au premier semestre, je suis très fier d’une initiative magnifique par Corentin, notre Chief of Staff en or. Bien plus qu’un simple Google Doc ou une présentation en slides, celui-ci a réalisé en 48h ni plus ni moins qu’un livre de 70 pages imprimé en une cinquantaine d’exemplaires. L’objectif était simple : créer le “mode d’emploi” de comet destiné à chaque membre présent et futur de l’équipe. Vision des fondateurs, mission de l’entreprise, valeurs de l’équipe, principes opérationnels, glossaire, et bien sûr trombinoscope : tous les ingrédients étaient réunis pour parvenir à l’alignement des planètes.
  • “Opération Hive 2” : Cette dernière initiative a été la plus décisive dans la suite de l’aventure. Au début du second semestre, nous avons opté pour le détachement d’une hive (une unité de notre équipe Sales) menée par Martin, avec un mode de fonctionnement différents du reste de l’équipe et des objectifs spécifiques. Celle-ci allait être en interaction directe avec les freelances sélectionnés par le matching, avant de proposer les meilleurs éléments à nos clients. Cela a eu deux effets majeurs : accélérer la phase entre le matching et la contractualisation, et apporter de nombreux feedbacks sur le développement produit. L’Opération Hive 2 a été un succès et a radicalement transformé notre modèle opérationnel, faisant des Sales les premiers bénéficiaires de notre offre.


Le retour du ROI

Enfin, l’heure est venue d’évaluer le chemin parcouru de façon concrète. C’est donc avec les chiffres de comet entre janvier et novembre 2019 que je vais conclure le dernier chapitre de cette trilogie :

  • Évolution de notre revenu net : x3
  • Nombre de nouvelles missions contractualisées (par mois) : x7
  • Nombre de missions renouvelées (par mois) : x4
  • Nombre de clients Grands Groupes : x2
  • Nombre de freelances en mission par entreprise : x2
  • Burn : -40%

 

Plus qu’une année qui se termine, c’est une décennie qui se clôture. 2019 aura commencé avec un rythme de croissance plus faible que jamais (+5% par mois en janvier). Un an plus tard, nous avons fait bien plus que seulement redresser la barre, avec +20% de croissance mensuelle. Et je suis vraiment heureux de dire que nous sommes toujours debout et plus forts que jamais.

Nous avons la confiance de nos clients et des freelances de notre communauté. L’équipe est plus alignée que jamais, et nos investisseurs aussi. La culture comet est belle, et nous avons décidé de tout open-sourcer. Les résultats sont incroyables, et notre modèle opérationnel est prêt à scaler. La croissance exponentielle est de retour, et on recrute des Key Account Managers à tour de bras.

Aujourd’hui, je suis incroyablement fier de toute l’équipe et du chemin parcouru depuis le début de l’aventure. Tout ça n’aurait pas été possible sans leur résilience et détermination. Si la vie d’un entrepreneur est souvent décrite comme étant marquée par la solitude, il me semble important de rappeler qu’une start-up est avant tout une construction humaine avec des personnes exceptionnelles à nos côtés.

Partager l’expérience que nous avons vécus avec comet a été pour moi un exercice très sain, que je recommande à tout CEO. Je remercie tous ceux qui nous ont écrits et soutenus après les deux chapitres précédents. Et comme d’habitude, n’hésitez pas à partager cette dernière partie autour de vous et/ou sur les réseaux sociaux. ✌️

— Cet article a été écrit avec l’aide de Benjamin Perrin, un grand merci à lui !